L’art doit avoir cette capacité de nous réveiller, de faire bouger nos frontières internes....
(Alun Be)
Né à Dakar (Sénégal), en 1981, d’un père sénégalais et d’une mère guinéenne, Alun a passé son enfance en Côte d’Ivoire.
Il a exploré le monde à la fois pour ses études et à la fois pour son plaisir, en donnant toujours l’air d’un dilettante soignant son allure d’éternel jeune homme, généreux et bienveillant. Et il ne se contente pas d’en donner l’impression, il l’est profondément, et avec beaucoup de délicatesse.
Il partage sa vie entre le Sénégal, la France, l’Italie et les Etats-Unis. Il parle quatre ou cinq langues, aussi.
Les bâtiments qu’il a construits ou à l’élaboration desquels il a participé, ont acquis une certaine reconnaissance quand ils n’ont pas fait l’objet de prix et de distinctions.
Alun Be fait également de la sculpture, des totems métalliques qui empruntent encore beaucoup à l’architecture, entre rituels, tradition et anticipation et futurisme.
Il est musicien, depuis son adolescence, et même si la guitare est son medium de prédilection, Alun passe d’un instrument à l’autre s avec une facilité déconcertante.
Plus tard, Alun se lancera en toute discrétion dans la photographie et depuis ses œuvres, ont illuminé les cimaises de nombreux lieux d’exposition en Afrique, en Amérique, en Asie et en Europe, par exemple à la Biennale de Dakar, au festival Lagos Photo, au musée de la Photographie contemporaine de Chicago, aux foires AKAA (Also Known As Africa) et 1-54, ou encore au musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Alun est devenu photographe presque par hasard, il se sentait, se savait artiste, mais ne savait pas quel serait son mode d’expression de prédilection. Il a mis du temps pour se prendre au jeu d’une carrière de photographe, s’il est possible de l’y réduire, lui qui aime si peu les catégorisations.
Voilà un homme complet qui sourit à la vie et à qui la vie sourit !
Sa première série, Empowering Women, commandée par les Nations Unies, est composée de portraits de dix femmes battantes, belles dans leur détermination et leur volonté Cette série montrée en 2015 à l’Exposition universelle de Milan, projette en pleine lumière, celui qui se considérait alors comme un simple amateur. L’artiste, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi et qu’il l’est tellement et jusqu’au bout des doigts, a concentré son œuvre autour de la personne humaine dont aucune condition ne lui échappe.
Ses thèmes favoris évoquent, nous l’avons vu, l’émancipation féminine, prise dans sa globalité, la transmission entre les générations et la technologie et puis, bien sûr, les bâtiments, mais en tant que marqueurs d’humanité.
Edification, une autre de ses séries emblématiques, évoque la transition entre le passé, la tradition, représentés par des masques classiques ou des fétiches, et la modernité que symbolisent des casques de réalité virtuelle. Ses personnages sont des enfants, garçons ou filles qui naviguent ainsi dans le temps et dans l’espace, partageant avec nous leurs siècles de connaissances et de sagesse, et leur anticipation du monde de demain.
Ses œuvres sont toujours très structurées, très construites, on sent bien l’architecte derrière l’objectif, et aucun détail n’est laissé au hasard. Il suffit de l’observer lorsqu’il sélectionne ses clichés ; l’infinité de nuances que lui seul perçoit entre deux images, pour nous tellement semblables, est étudiée avec soin pour finalement qu’une s’en détache comme une évidence.
Pour cette exposition, abidjanaise, Alun Be nous offre un échantillon de sa créativité avec deux séries nouvelles.
L’une présente des murs, de vieux murs de villes traversées à travers la planète, qui portent sur eux toute l’histoire du monde et lui seul sait la déchiffrer pour notre plus grand bonheur.
Et puis, il y a la petite fille à la robe rouge une enfant qui joue souvent au bord de la mer et qui rapporte au bout de sa ligne des masques sculptés traditionnels quand ils ne tournoient pas au-dessus d’elle, pendus aux branches d’un baobab centenaire.
Le photographe retrouve là la veine de la série Edification mais avec plus encore s’il se peut, de nuance et de contraste dans le traitement des couleurs et la profondeur qu’ils autorisent.
L’enfant porteur de l’avenir, mais toujours rattaché à son passé, à sa tradition, on sent bien que se trouve là le cœur de la réflexion de l’artiste et de son approche du monde et de ceux qui le peuplent.
De grands moments de sérénité souriante, sans angoisse, ni frayeur, une promenade philosophique dans notre monde et dans notre vie. Et pourtant combien de messages qui se faufilent jusqu’à nous !
Et je reprends la phrase d’Alun Be :
« L’art doit avoir cette capacité de nous réveiller, de faire bouger nos frontières internes, sinon c’est de l’artisanat »
Sylvain Sankalé
Critique d’Art