La peinture de Sess ESSOH est solaire, vivante, colorée, portée par la manifeste passion du peintre pour ce qu’il crée.
S’il faut la classer, il faut qualifier son œuvre d’abstraite, même si, se déjouant de toute classification, l’artiste n’hésite pas à recourir au portrait, voire à des signes d’une écriture, fut elle indéchiffrable pour nous, non-initiés, pour ajouter de la force à son propos.
C’est là l’expression d’un homme libre et qui entend jouir totalement de sa liberté.
Et il a cette qualité qui signe l’aboutissement d’un artiste accompli, ses œuvres sont reconnaissables et identifiables, sans pourtant jamais se ressembler.
C’est ce qui fait leur puissance et leur force d’expressivité.
Grands aplats de couleur pure, rouge, jaune ou bleue, travail de la matière qui n’est jamais lisse ni uniforme, ajout d’éléments qui viennent compléter la texture, papier collé, papier froissé, tissus, l’artiste nous entraîne dans son tourbillon et nous pénétrons dans son monde, sans crainte ni restriction, tant celui-ci nous attire et nous séduit.
Pourtant, sa perception du monde n’est pas toujours d’un optimisme béat et ce sont les travers de nos sociétés qu’il lui arrive de retracer et de portraiturer, mais le propos est subtil et ne nous agresse pas.
Des fragments de ses écrits apportent quelques clés de souffrances de nous inconnues et tues dans la discrétion de l’élégance, un regret esquissé parfois comme dans sa Lettre à Ménélik :
Je te dessine, mon cher fils,
La fresque-frasque de cet idéal
Aux espoirs avortés très tôt
L’évolution de ses séries, ou de ses œuvres, aux titres-valises dont le contenu nous échappe, forme une espèce de labyrinthe où mieux nous perdre :
Un genre d’histoire ; Scripture Hi-story ; MANsonge ; Réécriture story of HIStory kpaa ; Les maîtres de la nuit étoilée d’albâtre fragment ; Vertigo blues ; Silence est d’or ; Silence on bavarde !
On pourrait écrire des récits oniriques avec les fragments de ses écrits qui nous frustrent de leur inaccomplissement et on rêve d’aller jusqu’au bout de l’histoire, jusqu’au bout du récit, jusqu’au bout de la nuit et de la vie, pour connaître le fin mot de l’aventure et des mystères qu’elle porte.
Les œuvres sont là, muettes et si bavardes, elles ne parlent qu’à ceux qui savent les écouter, les entendre et les comprendre.
Et c’est probablement cette combinaison d’évidence et de secret, d’ouverture et de retenue qui nous fascine dans ce travail particulièrement attachant.
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Et puis, en ce mois décembre, c’est l’accident !
Imprévisible, brutal, violent et surtout stupide, comme le sont tous les accidents.
L’inévitable cortège de l’attente, des souffrances, des traitements, des angoisses, de la solitude malgré la bienveillance de ceux qui nous entourent.
Sess ESSOH en fait la très amère expérience.
Son salut lui viendra de son envie de vivre, de ce sursaut de vitalité qui le ramènent très vite à sa création.
Créer pour prouver sa survie, créer pour se prouver que l’on existe encore, comme une forme d’antidote, de paravent, de bouclier, pour se protéger de la mort et oublier la douleur.
A l’hôpital, déjà et pendant sa convalescence à la maison, il s’empare de papiers, de toiles, de couleurs ; l’urgence de son expression, de son message s’impose à lui par-delà la souffrance, les nuits blanches et les multiples points d’interrogation : pourquoi ? pourquoi moi ? pourquoi maintenant ? pourquoi ici ?
Sa peinture illustrera ses questions et ses réponses, transcrira, en la transposant, l’angoisse et la douleur mêlées, la colère parfois et, en même temps, la reconnaissance et la résilience : je suis encore vivant !
Ses personnages changeront, fruits de son sens aigu de l’observation de la nature humaine.
Ils scrute le visage des autres patients, celui des soignants, celui des visiteurs à la mine faussement attristée et compatissante et il comprend, il interprète, il transcrit.
Et c’est ce témoignage de toute une humanité dans une situation de détresse, la détresse subie, la détresse à soulager et la détresse à essayer de soigner, qu’il nous présente dans cette exposition hors de sa zone habituelle d’intervention.
L’artiste a toujours été sensible à la condition humaine et à ses aléas, il a toujours transcrit l’âme humaine dans ses travers et dans ses beautés à travers son œuvre dont les titres portent la marque.
Mais il s’agit là d’autre chose.
Ses œuvres tout à fait saisissantes, même les plus « simples », transcrivent la réalité des inégalités, sociales ou corporelles, les soupirs de résignation ou de douleur insupportable, les murmures des soignants et des visiteurs qui créent une espèce de mélopée aussi insistante que peut l’être celle de la marée qui monte, mi prière, mi forme de sublimation des êtres et des choses, ce qui revient au même.
Et puis, il y a l’isolement de celui qui souffre et qui, quel que soit ce (ou ceux) qui l’entoure, reste seul dans son combat avec lui-même, contre la douleur qui irradie en lui, la mort qui rode et qui arrache ses proies, égalitaire, sans considération pour l’âge, ni la condition.
Une série de papiers, « série noire », où des profils solitaires, ou en duos, se détachent d’un fond de lettres illisibles, cris inarticulés, indicible témoignage de ce qui est subi et ressenti.
Quelques grandes toiles, rouges ou bleues, où l’on retrouve les fondamentaux de sa création, mais où l’artiste réussit à faire passer ses questionnements et ses souffrances.
Et puis cette immense tenture qui nous prend et nous enveloppe, montrant l’artiste au mieux de son génie créateur, de sa virtuosité et de sa maturité.
Une très belle exposition, pas comme les autres et qui nous questionne avec émotion !