S’éloignant de l’amulette traditionnelle en peau, Ange Dakouo réalise méticuleusement de délicats grigris de papier. Quadrillés et assemblés par du fil de coton, ces “grigris tissés” deviennent la partie d’un tout, à l’instar des individus qui forment une société.
LouiSimone Guirandou Gallery est heureuse de présenter Égrégore, la première exposition personnelle d’Ange Dakouo en Côte d’Ivoire, du 29 novembre 2023 au 6 janvier 2024.
À travers un parcours plastique riche, regroupant peinture, tissage, collage et sculpture, Égrégore est une invitation à plonger dans la philosophie optimiste et poétique d’Ange Dakouo. Signe de son attachement profond aux cultures maliennes, il fait de la confrérie des chasseurs Dozos le fondement de sa démarche artistique, et, plus largement, de sa vision d’un monde harmonieux.
Société d’initiés aux origines ancestrales, autrefois gardienne des royaumes sahéliens, les chasseurs Dozos accomplissent un devoir de protection, à la fois médical et guerrier. A travers ses peintures, Ange Dakouo rend hommage à leur mode de vie et leurs croyances animistes. A l’instar d’un conteur, il dépeint les cultes, la musique, les accessoires et les incantations. Mais ces silhouettes humaines et animales, qui défilent comme des ombres, accentuent le mystère.
Le pouvoir de la confrérie Dozo est renforcé par la confiance des populations locales en leur aura mystique et leur savoir magique. Il repose encore aujourd’hui sur un ensemble de rituels codifiés, parmi lesquels la confection d’amulettes — ou grigris — qui ornent leurs tenues. Fasciné par le pouvoir protecteur du grigri, Ange Dakouo s’attache plus particulièrement à leur caractère profondément individuel, presque intime. Chaque grigri est unique, investi d’une charge sacrée, et reflète celui qui le porte. S’éloignant de l’amulette traditionnelle en peau, Ange Dakouo réalise méticuleusement de délicats grigris de papier. Quadrillés et assemblés par du fil de coton, ces “grigris tissés” deviennent la partie d’un tout, à l’instar des individus qui forment une société.
L’interdépendance des grigris, dont la forme de l’un influence la position de l’autre, incarne l’Égrégore, une force collective orientée vers un objectif commun. Façonnée par l’inconscient collectif, imaginaire partagé par les membres d’un même groupe social selon K.G. Jung, l’Égrégore témoigne de la croyance profonde d’Ange Dakouo en un avenir meilleur, où prévaudrait la cohésion sociale. L’harmonie de ses tentures, renforcée par l’ajustement des grigris les uns par rapport aux autres, apparaît comme la projection d’un idéal de société où chaque individu accorde sa particularité au diapason de la communauté. Ses “grigri tissés” évoquent la puissance du groupe, magnifient la force de l’union collective.
Au premier regard, les installations d’Ange Dakouo semblent composées de textile, et rappellent les tenues traditionnelles des Dozos ainsi que la richesse des techniques artisanales maliennes. Elles dégagent une grande présence et une apparente solidité. C’est en s’approchant, en tournant autour de la toile que le spectateur découvre la délicatesse du travail du papier et la fragilité intrinsèque de l'œuvre. Fil et papier rappellent l’équilibre précaire de la société et la menace d’un Egrégore destructeur.
En hommage à son père imprimeur, Ange Dakouo récupère du papier journal, et s’attache à véhiculer son message à la manière de la presse. S’il se distingue des traditions orales des chasseurs Dozos, c’est pour mieux rendre compte du pouvoir de transmission des mots. Ces derniers, qui se cachent entre les fils de coton et s’éloignent du sens initial de l’article de presse, invitent le spectateur à s’approcher pour les déchiffrer. Ce murmure qui parcourt l'œuvre semble chuchoter à l’oreille de celui qui effleure la toile.
La gamme chromatique elle-même participe au récit de cette épopée vers une société idéale. Le noir, le rouge et le blanc, incarnent respectivement le déséquilibre, le danger et l’harmonie. Cette triade dominante est parfois défiée par le jaune, symbole d’espoir, et le bleu, symbole d’apaisement. Chaque tenture invoque les états d’une société sur la voie de l’amélioration, dont chaque obstacle est matérialisé par un parcellement de couleur.
Ange Dakouo explore la polysémie du cercle, à la fois forme géométrique et réunion d’individus. Incarnation parfaite de l’harmonie visuelle, le cercle désigne aussi l’espace dans lequel des êtres se rapprochent autour de valeurs communes. Plus intime, plus restreint, le cercle est une communauté au sein de la société, visant l’harmonie absolue. Dans cette quête d’une société idéale, l’individu, loin de s’annihiler au profit du groupe, y trouve le terreau fertile de son accomplissement. Élévation, sculpture monumentale, met en scène celui qui, somme de ses expériences et de ses fréquentations, est porté par son appartenance au groupe, et transcende sa condition.
Ange Dakouo ne se fait pas seulement observateur de l’histoire et des pratiques des Dozos. S’éloignant peu à peu de la figuration, il s’approprie leurs codes pour célébrer son idéal de société. L’abstraction, en évitant l’écueil de la narration, devient un moyen de faire ressentir cette harmonie plutôt que de la représenter. L'exposition Egrégore, résolument optimiste et engagée, est une ode à la solidarité.