Figure majeure de l’art contemporain d’Afrique, artiste autodidacte, Dominique Zinkpè est né en 1969 à Cotonou, Bénin. Il se passionne très jeune pour le dessin et se documente avec ardeur à la bibliothèque du Centre Culturel Français où il découvre un nouvel univers et s’ouvre au monde. Ses parents n’entendent cependant pas l’éveil de cette passion et lui conseillent de développer une activité plus lucrative ; il ouvre alors un atelier de couture où il travaille le jour, tandis que la nuit il dessine. Il expose pour la première fois au Centre Culturel Chinois en 1993 à Cotonou où il gagne "le statut d’Artiste" comme il s’amuse à le dire ; son père l’encourage alors vivement : "tu as les doigts magiques, continue à dessiner !". La même année, il est sélectionné au sein de la délégation Béninoise au salon Grapholies d’Abidjan et remporte le Prix du Jeune Talent Africain ! Sa rencontre avec Christian Lattier lui fait mesurer l’importance de "développer un langage et une écriture personnelle ; je me suis libéré des gestes trop faciles et des fioritures". La carrière de Dominique Zinkpè est alors lancée et marquera progressivement la création contemporaine d’Afrique par de vastes installations remarquées, telles ses "Taxi-brousse" et une production prolifique de dessins et peintures, qui traversent frontières et continents !

 

Résurgence

Par sa pratique pluridisciplinaire qui ne s’enferme pas dans un procédé créatif, par son inspiration puisant dans des univers variés et par l’universalité de ses intentions, Dominique Zinkpè crée des œuvres qui sont résurgences. Telles des sources ressurgies après leur infiltration dans la roche et enrichies de sédiments, ses créations se sont chargées d’inspirations captées dans différentes strates. En premier lieu sans doute, l’univers culturel de l’artiste et sa proximité avec le culte Vaudou dont proviennent entre autres l’univers magique de ses personnages à mi-chemin entre l’humain et l’animal, mais aussi les amulettes hôhô du culte des jumeaux, et qui, agrégées, constituent des sculptures. En second lieu, il est question de réflexions plus universelles au sujet de l’esprit de l’Homme et de son âme, du jeu de la comédie humaine et des travers de nos sociétés dans leur hypocrisie et la disparité de leurs échanges. Enfin, l’humilité de l’artiste et son respect du long écoulement du temps portent ces fragiles renaissances protéiformes et universelles.

 

Un artiste engagé

Jouant sur les interactions entre les symboles et les clichés, les installations de Zinkpè sont des satires sociales qui dénoncent les injustices du monde. Les "Taxi-Zinkpè" présentés de Niamey à Apt en passant par la Biennale de Dakar, de La Havane ou encore lors de l’édition 2008 du Festival International de Théâtre du Bénin, montrent l’inventivité, la force d’adaptation des peuples aux dures réalités du continent Africain, dénoncent la précarité des indigents et les injustices sociales, et soulèvent également la problématique de l’impérieuse nécessité de se déplacer, d’échanger, voire de migrer pour survivre face au marasme des économies du continent. Car "l’Afrique est toujours malade, alitée et agonisante, sous-perfusion". Ainsi naît l’installation "Malgré tout !" Prix UEMOA Dak’Art 2002, les pirogues assemblées de milliers de figurines hôhô à l’assaut de vagues matérialisées par des tongs en plastique, comme celle exposée à la Villa Arson, Nice, ou l’avion gros porteur "Afrique Arrive" constitué des mêmes figurines à l’édition 2012 de la Biennale Regard Bénin dont il est président, de même que le "Passage d’immigrés", sac Tati géant installé sur une place à Berlin. Avec un impact visuel fort et sans craindre d’être littérales, ces installations qui ont fait la renommée de l’artiste, sont œuvres de pédagogie visant à sensibiliser et à inviter le monde à revoir son fonctionnement global et ses modes de répartition des richesses.

 

L’art est un sacerdoce

L’artiste porte l’impérieuse nécessité de transmettre, de prêcher, de révéler. "L’art est un sacerdoce" affirme-t-il. Conscient de la difficulté d’accéder à la connaissance et à l’apprentissage dans le milieu de la création artistique au Bénin, Zinkpè a très vite développé des actions pédagogiques à destination des jeunes artistes. Ainsi il créé en 1999 le projet "Boulev’Art, artistes dans la rue" dans le but de partager les œuvres d’artistes contemporains avec un large public, puis l’association "Ayïzo - Œuvre de l’esprit" qui a récemment ouvert l’espace "Unik-lieu de création contemporaine" à Abomey, afin de partager les expériences professionnelles des artistes dans un souci de transmission et de promotion. Son atelier compte également une vingtaine de collaborateurs à qui il assure revenu et partage des savoir-faire et connaissances.

Amédé Régis Mulin